Au Tadjikistan, une eau abondante mais impropre

Pour étancher sa soif, Nematoullo Bassirov doit puiser l'eau d'un ruisseau dans sa cour, en espérant ne pas tomber malade après l'avoir bue. Malgré les abondantes réserves hydriques du Tadjikistan, l'accès à l'eau potable reste un privilège dans ce pays montagneux d'Asie centrale.
"Il y a n’importe quelle saleté dedans", dit à l'AFP M. Bassirov, en nettoyant le petit canal d'irrigation qu'utilise tout ce village du district de Balkh, aussi appelé Kolkhozobod, dans le sud du pays.
La récolte du jour: sacs poubelles, emballages plastiques, canettes de boissons énergisantes... Il lui arrive de trouver des couches-culottes, mais l'eau contient aussi des déchets invisibles, comme les "déjections des oies" du voisin, ou pire.
"Après l'irrigation des cultures, l'eau boueuse arrive ici, elle contient des pesticides", explique ce maçon de 58 ans, pendant que sa belle-soeur rince des raisins dans le canal pour les servir à table.

Seuls 41% des quelque dix millions de Tadjiks ont accès aux services d’approvisionnement en eau potable sûre et 15% aux réseaux d'assainissement, taux les plus bas d’Asie centrale, d'après les données officielles de 2023.
Au niveau régional, environ 10 des 80 millions de Centrasiatiques n’ont pas accès à l’eau potable, note la Banque eurasiatique de développement (BED).
Et ce alors que le Tadjikistan et le Kirghizstan, dans une situation comparable, détiennent environ deux tiers des ressources hydriques centrasiatiques.
Avec environ 25.000 glaciers cumulés, ces deux pays extrêmement montagneux font office de châteaux d'eau dans une région qui en manque cruellement.
"Priorité absolue"

"Grâce aux rivières vivifiantes qui coulent des montagnes enneigées tadjikes, les déserts assoiffés se transforment en oasis. L'eau est source de vie !", clame une citation du président Emomali Rakhmon à Balkh.
Sur la scène internationale, le dirigeant au pouvoir depuis 1992 a fait de la diplomatie de l’eau un pilier de sa politique étrangère, avec de nombreuses résolutions adoptées par l’ONU à son initiative.
Conscientes de ce problème crucial de santé publique dans un pays en pleine croissance démographique, les autorités ont lancé au printemps un plan d'action à horizon 2040. Elles le promettent: "fournir eau potable et services d’assainissement est une priorité absolue".
Pour l'heure à Balkh, les femmes font la vaisselle et la lessive dans le canal, des écolières y lavent la peinture verte de leurs pinceaux et des enfants s'y baignent.
A quelques kilomètres de là, avoir un cours d'eau à proximité serait déjà un luxe pour Malika Ermatova, 30 ans, vivant sur une terre aride.

Elle se fait livrer par camions-citernes, pratique qui a cours jusqu'aux faubourgs de la capitale Douchanbé, et conserve l'eau dans un réservoir de quatre tonnes sous sa cour.
"Nous utilisons cette eau pour tout: nous la buvons, faisons la lessive, nettoyons la cour, arrosons le jardin", explique Mme Ermatova, entourée de ses trois enfants.
"Mais l'eau se dégrade vite. Nous la changeons toutes les trois–quatre semaines", dit-elle, alors que la région de Khatlon, bordant l'Afghanistan, est la plus chaude du pays.
Hors service
Une étude publiée en 2024 par des chercheurs dans la revue de référence Nature note en moyenne "1.620 décès annuels liés à l'eau insalubre entre 1990 et 2020" au Tadjikistan.
M. Bassirov, qui fait décanter l'eau dans un seau pour retirer la couche supérieure d'impuretés puis la fait bouillir, raconte les maladies régulières dans sa famille et "son estomac qui ne supporte plus cette eau".
"Les prévisions indiquent une tendance à la hausse des décès liés à l'eau", selon ces chercheurs saoudiens et pakistanais, relevant "l'urgence d'améliorer les infrastructures".

Le chantier reste colossal: 7% des infrastructures hydrauliques sont partiellement fonctionnelles et 25% sont hors service, d'après la BED.
Datant de l'ère soviétique et endommagées par la guerre civile des années 1990, elles souffrent aussi des catastrophes naturelles, récurrentes au Tadjikistan.
Pour Abdourakhim Abdoulloev, ingénieur hydraulique à Balkh, ces problèmes sont réguliers.
"Cette station d'approvisionnement en eau potable dessert 2.800 foyers. Mais l'équipement nécessite des réparations pour que l'approvisionnement en eau de la population reprenne", explique M. Abdoulloev.
Les autorités ont récemment augmenté les tarifs de l'eau, extrêmement bas, héritage soviétique rendant le secteur non rentable.
Mais selon la BED, le déficit de financement reste important au vu de l'économie tadjike, la plus modeste de toute l'ex-URSS, et atteindra 1,2 milliard de dollars d'ici 2030.
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